Critiques concernant le CD Etudes de Chopin

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L'Hebdo, revue hebdomadaire, 8 mars 2001

Lorris Sevhonkian, l'art du fluide.

La virtuosité est décidément un virus étrange, capable de transformer l'humain en comète, en boule d'énergie hallucinée tricotant ses arpèges, en diable électrique, le feu sous le tabouret. Capable aussi de calmer, de concentrer la matière. ' La virtuosité ' C'est économiser son énergie', dit simplement Lorris Sevhonkian, pianiste atypique du répertoire romantique. Car, même si sa chevelure est en bataille, évidemment dérangée, et même s'il est capable de jouer plus vite que son ombre, le pianiste vaudois d'origine arménienne est pondéré, calme, et tardif. Il n'y a pas eu de gammes dans son biberon. Mais la rencontre presque inquiétante du son, vers l'âge de 12 ans, "la révélation d'un monde modelable mais sans fin, sans limite...Je ne savais pas où aller, quelle direction donner à ces sons et cela m'a beaucoup perturbé".

Quelques années ont passé à jouer, "pas très bien", à travailler l'instrument, "très peu", à se l'approprier sans aucun doute puisque, dès l'âge de 18 ans, le mauvais élève décidait brusquement de mettre les bouchées doubles. Toujours dans le calme, la détente, avec une inconscience confiante et tranquille. "On pensait que j'étais fou de commencer des études musicales si tard!" Loin du cliché du jeune prodige, Lorris Sevhonkian a pourtant fait son chemin. Concertiste, il affronte le grand répertoire avec talent et maturité. enseignant, il sait débusquer les failles et les tensions. Il les connait de l'intérieur, il a surtout appris à les dénouer, jeune adulte, une à une.

C'est aujourd'hui encore, le son qui le guide. A chaque compositeur correspond une façon de doser les gestes, de teinter les notes, de penser son corps. "L'interprétation, c'est mettre la musique en mouvement et c'est une manière de découvrir l'autre." Liszt et son rapport au volume, à la densité. Schumann, plus nerveux, impatient. Chopin, léger, fluide, tout près des touches... Si Lorris Sevhonkian parle de ces hommes au présent, il n'accapare pas pour autant leur vie et leur musique. Il se sent comme un comédien, discret et immobile, s'habillant de leurs sonorités. Et, entre deux univers, Il joue volontiers aux échecs. Pour expérimenter, d'une autre manière, le poids d'un geste et "pour apprendre à perdre" parce que pour lui, en musique, gagner ou perdre ne veut rien dire : "A toujours se comparer, on se paralyse. Il ne faut pas vivre dans l'ombre des autres mais dans leur lumière !" Le résultat est là, dans ces Études qui respirent le naturel, l'élégance sans apprêt, une légèreté volubile. Il est dans le sourire paisible d'un jeune quadragénaire aux cheveux tout blancs qui n'a pas craint de perdre son temps.

Dominique Rosset

Quotidien "La Presse/Riviera", 4 octobre 2000

Lorris Sevhonkian grave Chopin

Après quatre récitals à Morges, Gland, Vevey et Neuchâtel, l'enseignant et concertiste enregistre l'intégralité des Études de Chopin.

Difficile, pour les musicologues, de classer le monument que constitue les Études de Chopin. Compositions didactiques ou délassement égocentrique à l'usage personnel d'un surdoué qui ne trouvait plus, dans les pages de ses contemporains, de défi à la mesure de son génie digital ? Lorris Sevhonkian ne tranche pas. Professeur et concertiste, il trouve son bonheur dans l'une ou l'autre explication. son défi personnel est d'une autre nature : transmettre le plaisir du jeu à son public et le goût du travail à ses élèves.

"Jouer et faire jouer : un travail identique"

Où s'arrête la vocation de l'enseignant, où débute l'exigence du concertiste ?

"Je ne fais aucune différence entre les deux activités. qu'il s'agisse
de jouer ou faire jouer du piano, il s'agit toujours de musique. Toute expérience scénique contribue à l'enrichissement pianistique personnel que l'on peut ensuite transmettre aux élèves, de même que les élèves, par leurs questions ou leurs trouvailles, suscitent une réflexion toujours bienvenue dans une
démarche artistique."

Le disque, une balise

Comme dés lors situé sur le disque, version forcément figée d'une interprétation, dans le cadre d'une évolution permanente ?

"L'enregistrement balise un parcours,
il fixe une vision de la musique à un moment précis. C'est un travail ponctuel, très différent d'un concert où il faut tenir compte de l'acoustique de la salle, de l'humeur du public et... de son humeur personnelle ! Pour un enregistrement, on tend davantage vers une forme d'idéal, avec l'idée de laisser une trace."

Une trace qui, dans le cas des Études de Chopin, a déjà été creusée par
les plus grand pianistes du siècle. Un héritage discographique lourd à porter ? Lorris Sevhonkian balaie l'objection d'un sourire et d'une formule :
"
On vit trop dans l'ombre des grands interprètes alors que l'on devrait plutôt vivre dans leur lumière !"

D.Z.

Quotidien "La Côte", 28 septembre 2000

Lorris Sevhonkian sort un CD consacré à Frédéric Chopin

Lorris Sevhonkian voit sa carrière de musicien prendre son essor, avec la sortie d'un quatrième CD prévue fin octobre. "Ce sont des partitions musicales difficiles à exécuter, qui font presque peur !" explique notre interlocuteur, qui avoue une passion pour la musique romantique. Et pour Chopin en particulier, qui sait si bien faire chanter le piano : "Sa musique est un mélange de rigueur et de liberté d'inspiration. Elle est aussi facilement accessible à l'auditeur." Dans la foulée, le pianiste donnera un concert au Steinway Hall de Suisse romande, le nouveau temple lausannois du piano.

jlg

Quotidien "La Liberté", 7 décembre 2000

La virtuosité de Lorris Sevhonkian, récital, le pianiste interprète dans
une confondante clarté l'ensemble des Études de Chopin.

L'intégrale des Études de Chopin. Ce n'est certes pas la première sur le marché ! Mais ce n'est certainement pas une des dernières au classement, de loin pas ! Lorris Sevhonkian vient d'éditer l'intégrale des opus 10 (1829/1832), opus 25 (1832/1836), ainsi que les Trois Nouvelles Études (1839) pour la Méthode des Méthodes de Fétis et Moscheles. Dans un jeu d'étourdissante virtuosité, c'est en outre la clarté de son jeu qui opère une grande séduction.

Un grand pédagogue

Le terme d'étude pourrait faire croire à des pièces roboratives. Que non ! Chopin était un grand pédagogue par vocation, et il a su insuffler à ces opus une poésie tour à tour vive, frémissante ou recueillie. C'est ce que Lorris Sevhonkian traduit sur son dernier disque.

La virtuosité de Sevhonkian dans les mouvements vifs est légère, aérienne, claire. La sonorité du Steinway est amincie, et sonne un peu comme les pianos de l'époque de Chopin. C'est remarquable ! Dans les pièces plus retenues, la sonorité est délicatement ombrée. De plus, Sevhonkian a retenu la leçon que voici : Chopin jouait ses oeuvres avec rigueur presque comme des Inventions de Jean-Sébastien Bach. Mais cette rigueur est insufflée de poésie par une articulation des plus élégante et soignée. Vraiment, Lorris Sevhonkian retrace toute la dimension de ces trois cycles d'Etudes de Chopin, privilégient le travail sensoriel, tactile et auditif cher au compositeur. Un disque qui est une vraie réussite.

Bernard Sansonnens

Quotidien ' 24 Heures ', 12 octobre 2000

Classique. Un pianiste suisse audacieux.

Chopin : mon ami piano

Lorris Sevhonkian a appris à aimer les études du compositeur polonais au point d'en faire un disque. Interview.

Pianiste suisse d'origine arménienne, Lorris Sevhonkian est un artiste discret mais apprécié pour son travail de pédagogue aux Conservatoires de Morges et de Montreux et également pour ses qualités de concertiste. Ayant fait le choix de musique tardivement, après son bac, Lorris Sevhonkian se lance-t-il toujours dans des entreprises à haut risque ? Sa carrière est en tout cas le fruit d'une décision d'homme mûr et d'un labeur incessant. Il a eu le culot (ou l'inconscience ?) d'enregistrer trois disques ambitieux et cependant parfaitement aboutis : la Sonate de Liszt, les Tableaux d'une exposition de Moussorgsky et un programme de musique contemporaine suisse ! Aujourd'hui, il sort une nouvelle galette avec l'intégrale des Études de Frédéric Chopin, avant de les jouer en concert.

Que représente un nouveau disque dans votre carrière ?

- En tout cas pas un bénéfice financier ! Aujourd'hui, les disques coûtent plus qu'ils ne rapportent. Je suis conscient que c'est une goutte d'eau dans la production actuelle, mais pour moi, chaque disque est vital. Sur ce dernier, j'y réfléchis, j'y travaille, depuis au moins trois ans. Je ne sais pas si je m'arrêterai un jour d'en enregistrer, mais je ne regrette en tout cas pas ceux que j'ai fait. Ils n'ont évidemment pas valeur d'absolu et représentent plutôt un moment ponctuel. Avec le temps, cela forme un sillage, un souvenir qui compte.

L'intégrale des Études de Chopin, ce n'est pas banal. Y a-t-il une intention derrière ce disque ?

- J'avais envie de briser un double tabou à propos des Études. Beaucoup de gens me tenaient ce genre de discours : "En enregistrant ces Études, c'est comme si tu voulais te comparer aux plus grands." En d'autres termes, sous prétexte que peu l'on fait, on n'aurait pas le droit d'y toucher. Pourquoi n'aurait-on pas le droit d'avoir ses idées, ses goûts, ses envies et les faire partager ?

Quel est alors le deuxième tabou ?

- Il est lié à l'enseignement. Un élève amateur obtient généralement son certificat sans jouer d'études de Chopin, mais ensuite, en entrant en classe professionnelle, tout élève sera "forcé" (n.d.l.r. il insiste sur ce mot) de les travailler. Elles sont obligatoires à toutes les étapes du cursus et servent d'éliminatoire pour les concours. D'un côté, c'est juste car ce sont des pièces didactiques, de l'autre, c'est injuste car cela devient un véritable pensum. J'ai moi-même souffert pendant des années avec ces Études. J'ai dû réapprendre à les aimer. Car on finit par oublier que c'est de la musique. Chopin voulait de la musique pure, même pas pour le piano. Il a voulu "parler  musique".

Les Études de Chopin sont finalement aussi "transcendentales" que celles de Liszt ?

Oui, mais Liszt voulait transcender la matière. Chopin transcende le geste. Liszt joue constamment le conflit contre le piano. Il y a lutte dont le pianiste doit sortir vainqueur. Chopin, c'est plutôt "mon ami le piano". Il y a une complicité, une intimité, une sorte de confidence avec l'instrument. Raison pour laquelle il est faux de penser que Chopin voulait "user" ses élèves avec les Études.

Il n'est donc pas indispensable de réussir les Études de Chopin pour être un bon pianiste.

- Absolument. Ou alors uniquement au niveau performance athlétique. Et encore, car elles sont aussi insuffisantes pour le fond technique. A l'opposé, j'ai des jeunes élèves encore incapable d'aborder les Études et qui me jouent des Nocturnes de toute beauté. La musique est pour tout le monde. Si on la rend élitaire, on la détruit. A mille lieues du pensum.

Critique. Loin de "broyer de l'ivoire", le pianiste fait respirer les Études  de Chopin.

Rien n'est innocent dans la réalisation d'un disque. Pour Lorris Sevhonkian, l'équipe et le lieu d'enregistrement sont essentiels. "J'ai besoin d'une ambiance sereine, surtout pas de tension. Je tiens aussi à ce que mon résultat soit repérable dans l'espace, que ça ne soit pas totalement immatériel. Aussi, je vais toujours enregistrer dans une salle de concert et je refuse tout mixage artificiel."

Les conditions idéales, il les a trouvées dans la fameuse salle de musique de La Chaux-de-Fonds, où les plus grands pianistes, de Martha Argerich à Keith Jarrett, ont réalisé leurs disques. Le vieux Steinway est d'autant plus précieux. Quant à la prise de son, elle est signée Claude Maréchaux, un "dinosaure" selon Lorris Sevhonkian, mais à l'expérience irremplaçable. Le résultat est plus que convaincant : bel équilibre, sonorité de velours, enveloppante, très flatteuse dans les aigus mais manquant de netteté dans le grave.

Ce qui frappe surtout dans cette version des Études, c'est l'absence de précipitation. Alors que la plupart des broyeurs d'ivoire jouent au rallye, Lorris Sevhonkian prend ses aises, laisse sonner son instrument sans pour autant négliger l'élan du geste. La virtuosité n'est pas son but, la sienne est assumée mais pas brandie outre mesure. La musique est peut-être moins éblouissante mais elle respire mieux. Voilà qui devrait faire du bien à Chopin, lui si faible des bronches.

Matthieu Chenal

Radio Suisse Internationale Internet Swissinfo.org, 22 octobre 2000

Un piano pour Liszt et Chopin

Les Etudes de Chopin est son quatrième et dernier disque. La Sonate en si minuter de Liszt fut son premier CD. Lorris Sevhonkian devient discrètement un magnifique pianiste concertiste dans le paysage de la musique classique suisse.

"Mettre en évidence les couleurs, les contrastes et les enchaînements des Etudes de Chopin. Les décliner de manière poétique, sans tomber dans le piège de la virtuosité technique", telle a été la démarche artistique de Lorris Sevhonkian pour sa dernière oeuvre discographique.

L'enregistrement des Etudes de Chopin s'est déroulé dans la fameuse Salle de Musique de la Chaux-de-Fonds, sur une prise de son du très qualifié Claude Maréchaux. Et avec surtout, un son pianistique authentique, qui imposerait par-dessus tout à Lorris Sevhonkian. Toutefois, si les aigus sonnent clairs et brillants., les graves, peu percutants, donnent l'impression de brasser parfois dans l'indéfini. "La faute au piano, rétorque Sevhonkian. Mais
ils gagnent en rondeur et donnent ce climat de fonds marins que j'aime."

Ce qui rapproche Lorris Sevhonkian de Franz Liszt et de Frédéric Chopin, c'est la quête mystique de Liszt et la recherche d'humanité chez Chopin, doublée de sa soif de pureté dans le son. Sur le plan technique, Liszt utilisait beaucoup le bras, il sautait sur le clavier. Chopin, lui, le parcourait davantage avec ses doigts. Torturé, Liszt menait un véritable combat sur son piano, alors que Chopin entretenait une amitié avec son instrument.

A l'écoute de ces deux disques, le mélomane comprend très vite à quel point Lorris Sevhonkian a épousé l'univers de ces deux génies. Son interprétation est sensuelle, délicate, inspirée et souvent comme suspendue pour mieux donner corps à l'accord suivant.

D'origine arménienne, mais né à Paris et ayant vécu presque toute sa vie dans le Pays de Vaud, Lorris Sevhonkian, 40 ans, n'a commencé à donner des concerts qu'à partir de 30 ans. "Que voulez-vous j'ai mis du temps à m'affirmer et à trouver les bons professeurs." Pourquoi Liszt et Chopin ? "Parce que j'aime la musique romantique, répond Sevhonkian. Placer l'individu au coeur de la société et accepter d'oser vivre ses sentiments, ses sensations, me semble primordial à l'heure actuelle."

Emmanuel Manzi

Revue Musicale de Suisse romande

Le genre de l'Etude, Chopin le cultive avec moins d'exubérance fougueuse et plus de concentration que son émule hongrois, Franz Liszt. Ses vingt-sept compositions qui l'illustrent (y compris les trois 'Nouvelles Etudes') sont un merveilleux kaléidoscope d'images, entre jeu et drame, confidence et voltige. Lorris Sevhonkian possède les moyens techniques nécessaires pour mettre en valeur la richesse musicale de ces morceaux. Son exécution ne sent jamais l'effort, ni ne vise à la performance : elle laisse les traits respirer de manière détendue.

Jacques Viret


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