L'Enfant et les Sortilèges, Maurice Ravel
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Ce travail est avant tout une étude analytique de cet opéra proche du Music-hall américain. Cependant, si l'analyse de certaines séquences est assez complexe, cet ouvrage peut servir de base pour une présentation de l'oeuvre dans des écoles ou des conservatoires de musique. Il peut aussi intéresser toute personne mélomane possédant de bonnes connaissances dans le domaine de la théorie musicale.

Voici, pour aperçu, l'introduction de cette étude.

Introduction :

La première de L'Enfant et les Sortilèges eut lieu à Monte-Carlo le 21 mars 1925. L'oeuvre avait été commandée en 1917 par Jacques Rouché, directeur de l'opéra de Paris. Le livret de Colette s'appelait alors : ballet pour ma fille. Ce n'est que plus tard que Ravel rejeta ce titre en disant qu'il n'avait point de fille !

Vraisemblablement, le texte plut à Ravel dès le premier abord mais il ne se mit pas tout de suite à la tâche. Jacques Rouché ayant proposé plusieurs musiciens à Colette, celle-ci ne retint que le nom de Ravel pour créer la musique de son "petit poème". C'est alors qu'il lui envoya le livret. Le livret fut envoyé à Ravel, qui était au front près de Verdun, mais il n'arriva pas à son destinataire. Finalement, en 1918, Ravel reçoit un deuxième exemplaire, mais commence à y travailler seulement au printemps 1920.

En 1923, Ravel signe un contrat avec Raoul Gunsbourg, directeur de l'opéra de Monte-Carlo, l'obligeant à terminer l'oeuvre pour la fin de 1924. Entre-temps, il l'avait un peu délaissée au profit de la sonate pour violon et violoncelle. Cet engagement le remet d'arrache-pied au travail jusqu'au dernier moment. Il assiste, en mars 1925, aux répétitions à Monte-Carlo et se déclare fort satisfait de la distribution des rôles. La première fut un succès et L'Enfant et les Sortilèges devint une pièce maîtresse du répertoire lyrique.

Colette décrit ses premières impressions : "La partition de L'Enfant et les Sortilèges, elle est maintenant célèbre. Comment dire mon émotion première, au premier bondissement des tambourins qui accompagnent le cortège des pastoureaux ? ...l'éclat lunaire du jardin, le vol des libellules et des chauves-souris..." "N'est-ce pas, c'est amusant ?" disait Ravel, "Cependant un noeud de larmes me serrait la gorge : les bêtes, avec un chuchotement pressé, syllabé à peine, se penchait sur l'enfant, réconciliées..."

Avant de débuter l'analyse à proprement parler, il serait bon de situer L'Enfant et les Sortilèges dans l'oeuvre du compositeur. En 1925, Ravel a cinquante ans, il a composé la plus grande partie de son oeuvre puisqu'il n'écrira plus que les Chansons Madécasses (1925-36), Rêves (1927), le Boléro (1928), les deux concertos pour piano (1931) et Don Quichotte à Dulcinée (1932).

Parallèlement à l'élaboration de L'Enfant et les Sortilèges (1920-25), Ravel compose la Sonate pour Violon et Violoncelle (1922), Tzigane (1924), Ronsard à son Âme (1924) et travaille à la Sonate pour Violon et Piano (1923-27). Il n'est pas possible de fragmenter l'évolution de l'écriture de Ravel car elle s'inscrit dans un mouvement continu et uniforme. Depuis la fameuse Habanera (1895) pour deux pianos où l'on trouve en germe des éléments (harmonies, pédales) qui deviendront caractéristiques, il a suivi un chemin sûr et régulier. Artisan modeste et scrupuleux, Ravel évolue de "pari en pari", aime à jouer avec les difficultés et se montre souvent audacieux tout en conservant certaines règles fondamentales.

"La rapidité avec laquelle Maurice Ravel trouve la perfection tient du prodige.
Ravel, comme son maître Fauré, et dans une certaine mesure comme Chopin,
est presque tout de suite lui-même."

L'Enfant et les Sortilèges réunit tous les arcanes de l'écriture ravélienne et constitue pour cela un sommet du genre, mais laquelle de ses oeuvres n'en est pas un ? Il s'agit du second opéra qu'il a composé, le premier étant L'Heure Espagnole (1907). Ce dernier a un propos tout différent puisque Ravel voulait renouer avec l'ancienne tradition de l'opéra-bouffe tandis que "l'Enfant" possède une dimension dramatique et se rapproche par la forme du music-hall américain : "Le souci mélodique qui y domine (dans L'Enfant et les Sortilèges) s'y trouve servi par un sujet que je me suis plu à traiter dans l'esprit de l'opérette américaine. Le livret de Madame Colette autorisait cette liberté dans la féerie. C'est le chant qui domine ici. L'orchestre, sans faire fi de la virtuosité instrumentale, reste néanmoins au second plan."

En effet, la ligne mélodique est maîtresse dans cette oeuvre et si Ravel est sensible aux nouveautés de son époque, il reste fidèle, dans le fond, à la tradition musicale classique : "Je n'ai jamais éprouvé le besoin de formuler soit pour autrui, soit pour moi-même, les principes de mon esthétique. Si j'étais tenu de le faire, je demanderais la permission de reprendre à mon compte les simples déclarations que Mozart à faites à ce sujet. Il se bornait à dire que la musique peut tout entreprendre, tout oser et tout peindre, pourvu qu'elle charme et reste enfin, et toujours, le musique."

Ce credo esthétique n'est pas révolutionnaire, il est même antérieur aux idées romantiques. Le compositeur doit se mouvoir à l'intérieur d'un cercle de possibilités données et immuables, à lui de tenter d'en pousser les frontières aussi loin qu'il peut. Ravel s'est permis de grandes libertés mais les a toujours justifiées selon les lois de l'harmonie classique. Il ne faut pas oublier qu'il a fait son conservatoire et a toujours appliqué rigoureusement les règles qu'on lui a inculquées.

Ce respect s'accompagne pourtant d'un besoin "viscéral" de frauder les lois, de brouiller les cartes. Ravel se joue du jeu, il aime se montrer original, voire excentrique... mais il n'est jamais gratuit. Dans L'Enfant et les Sortilèges, Ravel est présent sous ces multiples facettes, nous aurons tour à tour l'occasion de les décrire.

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